mercredi 5 septembre 2007

Politiques hégémoniques des Etats-Unis au Moyen-Orient

L’effroyable cercle vicieux des destructions périodiques, des reconstructions épisodiques et de l’armement permanent

par Prof. Mohssen Massarrat

Mondialisation.ca, le 4 septembre 2007
Freitag (Berlin) N° 32

Le gouvernement américain piétine en Irak et le nombre des Américains qui refusent la politique de leur président augmente de jour en jour. Et voilà que nous parvient une nouvelle surprenante et effrayante selon laquelle la Maison Blanche a l’intention de livrer pour 34 milliards de dollars d’armes à l’Arabie saoudite, aux Etats du Golfe Persique et à l’Egypte, tous pays arabo-sunnites. Ce n’est pas un exportateur d’armes mais l’Administration Bush qui annonce sans pudeur le nouveau projet d’armement, comme si les destinataires étaient simplement des états fédéraux d’Amérique. Et pour éviter les oppositions à ces exportations destinées à ces adversaires, on annonce qu’Israël aussi recevra une quantité égale d’armes.

La raison politique de ce marché tombe sous le sens: il s’agit de l’Iran ou plus précisément de l’image repoussoir de la République islamique, Etat central de l’Islam chiite, que les agences de communication de la CIA ont construite et propagée avec tant de succès au cours des dernières années. Il devient de plus en plus évident que le complexe militaro-industriel américain possède un plan cohérent pour le Proche et le Moyen Orient: armer, armer et encore armer.

Il trouve son origine dans le premier «choc pétrolier» de 1974, lorsque Henry Kissinger et ses aides cherchaient des moyens de recycler les pétrodollars des pays pétroliers, qui se multipliaient brusquement, dans le système financier dominé par les Etats-Unis. A l’époque, la solution fut vite trouvée. L’Iran monarchique – aujourd’hui ennemi juré de Washington s’il en est – fut choisi comme acteur le plus important d’un énorme transfert d’armes. Les ambitions du Shah Reza Pahlavi de posséder la suprématie militaire au Moyen-Orient convenait très bien au Ministre des Affaires étrangères (Department of State) et au Pentagone. On réalisa tous les vœux du souverain iranien, qui était à l’époque le plus important allié d’Israël. Il reçut – et cela en grand nombre – les armes les plus modernes de l’Air Force comme le F-16 qui, alors, n’était livré à aucun autre pays, même pas encore à Israël. On justifia cette manœuvre en arguant qu’il fallait créer un contrepoids aux alliés de l’Union soviétique – Saddam Hussein en Irak et Hafiz al-Assad en Syrie – qui étaient alors en même temps les représentants les plus radicaux du nationalisme arabe. L’Arabie saoudite se vit alors contrainte de faire d’importants achats d’armes afin d’obéir aux règles de la théorie réaliste de l’équilibre des forces (balance of power). C’est ainsi que fut mise en branle la première course aux armements coordonnée de l’extérieur dans l’histoire du Proche et Moyen Orient.

L’Irak, la Syrie, l’Egypte et d’autres pays arabes ne se firent pas prier longtemps. Ils suivirent le mouvement et importèrent d’Union soviétique (Saddam Hussein également de France) de grandes quantités d’armes pour tenir tête à la supériorité militaire de l’axe Tel Aviv−Téhéran−Riyadh. Ainsi, dans la seconde moitié des années 1970, la région devint de loin le plus grand marché d’importation d’armes au monde. Depuis, la guerre, la discorde et l’hostilité y sévissent. Depuis, c’est l’effroyable cercle vicieux des destructions périodiques, des reconstructions épisodiques et de l’armement permanent tandis que le complexe militaro-industriel des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Allemagne et de l’Union soviétique/Russie enregistrent d’importants taux de croissance. En plus, les pétrodollars des pays pétroliers pouvaient être réintroduits dans le système financier international. Il s’agit là d’une condition pour que le dollar conserve sa fonction de monnaie de référence.

L’occupation soviétique de l’Afghanistan à partir de la fin de 1979 fut la première riposte à l’armement des alliés américains. La réaction en chaîne qui en résulta, de la guerre civile afghane à la flambée d’un type nouveau de terrorisme international a conservé sa dynamique. Les causes de la guerre irako-iranienne entre 1980 et 1988 étaient également liées de manière décisive à la course aux armements qui avait commencé dans les années précédentes. Les batailles meurtrières autour du Chatt el-Arab furent suivies, en 1990, de l’occupation du Koweït par Saddam Hussein et, en 1991, de la première guerre du Golfe. Il se comprend que la conquête de l’Irak était conçue comme un autre élément de cette stratégie à long-terme américaine – et qu’une probable attaque militaire contre Téhéran serait l’étape suivante.

La guerre d’Irak – avec son coût astronomique de plus de 400 milliards de dollars jusqu’ici, qui apparaît au premier lieu tout à fait absurde – possède, si on prend pour base cette planification stratégique, une rationalité macabre, et c’est également valable pour les projets de guerre contre l’Iran bien qu’ils paraissent encore plus absurdes. Celui qui consacre actuellement toutes ses forces à initier une nouvelle course aux armements veut non seulement consolider sa stratégie mais la rendre irréversible pour des décennies à venir. Les Etats auxquels s’adresse ce calcul délirant sont les mêmes que dans les années 1970 – il n’y a que les fronts qui ont changé : l’Iran ne joue plus le rôle d’allié mais d’ennemi principal des Etats-Unis.

Les conséquences sont hors de question : le Proche et Moyen-Orient restent dans une situation de guerre latente. On conserve les tensions, en partie extrêmes, entre les Etats, on fomente des conflits ethniques et encourage les tendances sécessionnistes des minorités transfrontalières (Kurdes, Turkmènes, Azéris, Baloutches, Pachtounes). On dresse le Hamas contre l’OLP en Palestine, le Hezbollah contre d’autres forces au Liban et, finalement, les chiites contre les sunnites. Le chaos et l’instabilité permanente dans une des régions les plus sensibles du monde semblent être les seuls instruments de pilotage « rationnels » de cette folie. Des millions de victime, la destruction d’infrastructures et de trésors culturels, celle du fondement social de la modernisation et de la démocratisation, les guerres civiles et le terrorisme – tout cela est manifestement incapable d’ébranler le moins du monde la stratégie américaine tant que le pétrole coule en abondance et qu’on empêche les prix d’atteindre 200 dollars le baril.

Contrairement à l’idée dominante, les deux choses ne sont pas du tout contradictoires. Bien au contraire : quand règnent le chaos et l’instabilité, le besoin de pétrodollars devient le moteur le plus efficace pour stimuler la production pétrolière et la maintenir au plus haut niveau possible. Aussi est-il absurde de reprocher au gouvernement Bush de déstabiliser toute une région car son véritable objectif est précisément l’instabilité.
La caractère extrêmement inquiétant de cette situation est dû au fait que les intérêts vitaux du complexe militaro-industriel se confondent avec les intérêts hégémoniques des Etats-Unis, avec leur souci de contrôler les ressources pétrolières de tout le Proche et Moyen-Orient et de renforcer le dollar en tant que monnaie-clé. Et cela correspond tout à fait aux intérêts sécuritaires belliqueux d’Israël. Malgré quelques critiques légères, il faut supposer que cette stratégie à long-terme est soutenue par l’ensemble de l’élite politique américaine. Le fait que les démocrates exigent certaines coupes budgétaires est sans grande importance.

Si tout cela est vrai – et il en existe de nombreux indices – les Etats-Unis mènent une politique proche et moyenne-orientale qui équivaut à un crime contre l’humanité tout entière : une alliance anti-guerre sur l’échelle mondiale serait nécessaire et seule capable d’empêcher une catastrophe imminente. Mais avant tout, les gouvernements européens devraient mettre fin à leur politique d’appeasement à l’égard des Etats-Unis.

Lire l'article en anglais, America's Hegemonic Middle East Policy, publié le 4 septembre 2007 sur Global Research.
Traduction de l'anglais
Horizons et débats et Ali Fathollah-Nejad.Source de la version française : Horizons et débats, N° 33, 7e année, le 27 août 2007.

Mohssen Massarrat est professeur d’économie et de sciences politiques à l’Université d’Osnabrück (Allemagne). Il a publié de nombreux ouvrages et articles dans les domaines de l’économie internationale, socio-écologique, et d’énergies, aussi bien que la théorie démocratique, études de paix et de conflit et le Proche et Moyen-Orient.

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