samedi 12 janvier 2008

Badr Châker as-Sayyâb, grand poète irakien

Lever de soleil sur le Tigre


Poème de Badr Châker as-Sayyâb*
Écrit le 2 janvier 1963
Traduit de l’arabe par André Miquel


Testament d’un agonisant
(Le Golfe et le Fleuve)

O muets, muets cimetières en vos tristes allées,
je hurle, je crie ; je crie, me lamente et dans
le silence j’entends
l’austère neige éparpillée dans l’ombre
où se répercutent des pas solitaires. Comme si
une bête de fer et de pierre
rongeait la vie : point de vie du soir
jusqu’au jour !

Où est l’Iraq ? Où est le soleil de ses matins,
emporté par un bateau
sur l’eau du Tigre ou du Buwayb ? Où sont
les échos des chants
qui palpitent comme ailes de pigeons vers les épis
et les palmiers,
accourant de chaque maison, dans le ciel libre,
de chaque colline disparue sous les fleurs des plaines ?

Si je meurs, ô ma patrie, je n’ai pas plus
haut désir
qu’une tombe dans tes tristes cimetières, et si je demeure
sauf, je ne veux rien de la vie
qu’une masure dans tes champs. Pour tes déserts
infinis, pour te garder de l’infortune,
je donnerais les rues et les faubourgs de Londres !

Peut-être vais-je mourir demain : le mal ronge
sans faiblesse
la corde qui retient à la vie les décombres de
mon corps, comme d’une maison
où les murs sont rongés par les vents, et le toit par
la course des gouttes.

O frères dispersés du midi vers le nord,
parmi les chemins et les plaines et jusqu’aux
plus hautes montagnes,
fils de mon peuple dans ses villages et ses cités
que j’aime tant,
ne reniez pas les bienfaits de l’Iraq !

Vous avez habité le meilleur pays, parmi
les eaux et la verdure :
le soleil, lumière de Dieu, l’inonde été comme
hiver ;
ne l’oubliez pas pour un autre !
c’est un paradis : craignez la vipère qui se
glisserait sur sa terre fraîche !

Je suis mort, et un mort ne ment pas.
je renie toute pensée
si le cœur n’en est pas la source.
O toi, éclat du jour,
inonde l’Iraq de ton or ! Car c’est l’argile
de l’Iraq
qui fait mon corps, c’est l’eau de l’Iraq…



* Badr Châker as-Sayyâb, un des plus grands poète de l’Iraq moderne

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